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Des chanteuses (surtout) et des chanteurs noirs des années 20, le disque ne nous a pas laissé la trace de personnalités transcendantes, mis à part Louis Armstrong, Bessie Smith ou, dans le style « vaudeville » la très influente Ethel Waters.
Comme pour les instrumentistes, l’Ere du Swing va révéler une pléiade de chanteurs-ses de grande classe, puisque chaque orchestre ou presque en comptera un-e ou davantage. A la fin de la période, au milieu des années 40, ils-elles passeront même sur le devant de la scène au détriment des improvisateurs-solistes virtuoses qui faisaient le renom des orchestres au sein desquels ils se produisaient.
The Joint is Jumpin (1937) donne à Fats Waller l’occasion d’évoquer une surprise-partie à Harlem – jusqu’à la descente de police finale pour cause de tapage nocturne !
La même année, la toute jeune Ella Fitgerald – elle n’a que 20 ans - explique à son chéri qu’elle veut du « rock’n roll » (dans Rock it for me, enregistré avec l’orchestre de Chick Webb dont elle va bientôt prendre la direction), tandis que, toujours en 1937, sa rivale de 21 ans, Billie Holiday explique au sien que s’il la plaque, « 3 cœurs se briseront : le mien, le mien et le mien ! » dans Me, Myself and I, où l’on peut entendre de superbes contrechants de Lester Young au saxo-ténor.
En 1938, le grand public va craquer pour un tube totalement déjanté, Flat foot floogee, par le duo Slim Gaillard/Slam Stewart, qui résume si bien la folie rythmique de l’époque qu’on le désignera l’année d’après pour l’édification des générations futures en l’enterrant dans le sous-sol de la Foire de New-York, au sein d’une « Time Capsule » à ne pas ouvrir avant le… septième millénaire !
Dans un tout autre registre, au cours de cette année 1939, Jimmy Rushing chante le blues de façon dramatique : Nobody Knows (somptueusement accompagné par le trombone de Dickie Wells et l’orgue de Count Basie). Et l’on termine sur une note plus légère – voire un peu déjantée elle aussi - de 1935: I’se a Muggin, chanté par Freddie Taylor, avec réponses instrumentales et vocales par le Quintette du hot-club de France et notamment ses deux leaders : Django Reinhardt à la guitare et Stéphane Grappelli au violon. On y entend même pour la première fois une onomatopée qui ne va pas tarder à résonner à travers toute la galaxie de la musique afroaméricaine : « Be-bop » !
Episode 3 : l’émergence de l’improvisateur-soliste
Le Jazz des années 20 est le plus souvent une création collective où les soli sont rares et toujours brefs. Peu de vedettes s’autorisent à improviser plus d’un chorus, hormis Louis Armstrong vers la fin de la décennie.
L’éclosion des Big Bands ne changera pas cet état de choses, ou pas beaucoup. En revanche, au sein des petites formations, les musiciens les plus féconds pourront libérer leur créativité, surtout lorsqu’ils auront eux-mêmes créé le groupe ou qu’ils en assureront la direction musicale.
C’est ainsi qu’en 1935, à la tête de l’orchestre de Luis Russell, Louis Armstrong nous exhorte par la voix et par la trompette à le suivre joyeusement tout au long d’un Swing That Music où – seul soliste - il étale toutes les facettes de son génie en multipliant les tours-de-force techniques. Dans un climat tout différent, en 1939 Chew Berry développe une improvisation envoûtante sur A Ghost of a chance, porté par le superbe arrangement qu’Andy Gibson a écrit pour l’orchestre de Cab Calloway dont le grand saxo ténor est l’une des vedettes. Avec une recréation vertigineuse de l’Elegie de J. Massenet, Art Tatum s’affirme en 1935 comme l’un des plus éblouissants continuateurs des géants du piano classique du 19ème siècle. Il est seul au clavier, même si beaucoup ont pensé à l’époque, « qu’ils devaient être deux » pour déployer une telle virtuosité (anecdote rapportée par Stéphane Grappelli). Dans un tout autre style – il frappe les touches du piano avec l’index et le majeur de chaque main, utilisés comme les mailloches de son vibraphone – Lionel Hampton transforme avec tout autant de génie une chansonnette à la mode (Shine), en un torrent de swing (Piano Stomp, 1937). La même année, à Paris, quatre saxophoniste, deux Français (André Ekyan et Alix Combelle) et deux américains (Benny Carter et Coleman Hawkins) improvisent chacun à son tour sur Crazy Rhythm, l’un des premiers « standards » : à l’initiative d’Hugues Panassié qui supervise la séance pour le label Swing, qu’il a créé avec Charles Delaunay, et accompagnés par un Django Reinhardt déchaîné, ils nous offrent l’une des plus belles versions de ce « tube », chacun s’efforçant de contribuer de son mieux à l’équilibre de l’ensemble sans essayer pour autant d’éclipser les autres musiciens. That’s All enfin, enregistré en 1938 par la toute jeune Rosetta Tharpe nous fait découvrir celle qui va devenir l’une des plus grandes interprètes de gospel.
Seule avec sa guitare (dont presque tous les rockers des années 50 reconnaîtront s’être inspirés), elle incarne à la perfection cet « improvisateur-soliste » issu de l’ère du swing.
Peu de temps après elle se retrouvera d’ailleurs tout aussi convaincante dans le rôle de chanteuse-vedette de l’orchestre (ultra-swing !) de Lucky Millinder.
Episode 2 : « Swing brother swing ! » : les petites formations
Pour se produire dans des night-clubs parfois minuscules, comme ceux qui feront la célébrité de « Swing Street » - la 52 ème rue de New-York - des orchestres de petite taille s’imposent.
Ceux de l’ère du Swing vont viser à l’originalité de leurs arrangements autant qu’à la virtuosité de leurs solistes : l’important est de trouver une couleur originale qui vous distingue des groupes concurrents.
Dans Swing brother swing (1935) le pianiste-chanteur Willie « The Lion » Smith évoque l’ambiance des boîtes de Harlem, dont il est une des figures les plus appréciées, et où tout le monde danse (ici la batterie est remplacée par le washboard de Willie Williams). Krazy Kapers (1933) est une composition plus élaborée, de la plume du maître du saxophone alto Benny Carter qui dirige ici brillamment les Chocolate Dandies.
Le Concerto en Ré pour 2 violons de J.S.Bach est une version « Swing » enregistrée pour la marque française éponyme à Paris, en 1937. Sans s’écarter du texte musical originel, l’américain Eddie South et le français Stéphane Grappelli, soutenus par que la guitare inimitable de Django Reinhardt, parviennent à nous faire croire à une improvisation 100% jazz !
De même, Opus 5 (1939) - inspiré par une mélodie de F.Chopin - donne au sextette du contrebassiste John Kirby l’occasion de briller par la virtuosité de ses membres et l’habilité de son arrangement.
Enfin Star Dust, enregistré la même année par le sextette de Benny Goodman (avec Lionel Hampton au vibraphone et Charlie Christian, étincelant à la guitare électrique) et Sweethearts on Parade, de 1939 également, ou Lionel Hampton brode son discours sur celui du saxophoniste ténor Chew Berry (poussés à leur maximum par la batterie « shuffle » de Cozy Cole) sont deux autres joyaux de la période où l’improvisation prend le pas sur l’arrangement et retrouve la spontanéité et la flamme du Jazz New Orleans, mais dans un tout autre style.
1934/2024, 90 ans de Jazz « Hot »Saison 3 : L’ère du Swing
« The Swing era », c’est le surnom que les américains ont donné aux années 30, celles de la plus sévère crise économique qu’ils aient connue, et le monde entier à leur suite. Comme si l’explosion musicale qui a accompagné tant bien que mal la « Grande dépression » méritait leur gratitude, et la nôtre. Comme si la pulsation élastique du Jazz (…c’est ça, le Swing ou sa variante le « Bounce ») avait aidé à rebondir ceux que la crise avait terrassés. De fait, au moment où le tout jeune Hugues Panassié publie à Paris « Le Jazz Hot » en 1934, cette musique est arrivée à maturité : celles et ceux qui la créent dans les dancings, les théâtres et les boîtes de nuit qui constituent son cadre naturel (et non les salles de concert, alors réservées à la musique « sérieuse » et – quasi exclusivement – blanche…) semblent la réinventer en permanence, avec une facilité déconcertante et un bonheur constant : c’est l’époque où naissent un peu partout de fascinants « Big Bands » (notre premier épisode) comme d’incroyables « Petites formations » (2ème épisode), et où surgissent, sortis de nulle part, des improvisateurs-solistes de génie et des chanteurs-euses comme on n’en avait jamais entendu-e-s auparavant (épisodes 3 et 4).
Episode 1 : Big Bands…& Big Chiefs !
Le Jazz connaît une telle faveur et les musiciens se contentent de si peu que les orchestres vont rapidement s’étoffer, passant de 6 ou 7 instruments dans les formations « New Orleans » à 15 ou davantage, en additionnant les sections d’instruments à vent (cuivres et anches) à la section rythmique, cœur battant de l’orchestre, quelle que soit sa taille.
Leurs chefs aux noms illustres doivent avoir toutes les qualités pour réunir durablement des personnalités créatives volontiers indisciplinées et les amener à se plier aux contraintes des arrangements, indispensables à la précision du jeu d’ensemble sans perdre la fraîcheur de leur inspiration. Shangaï Shuffle nous fait entendre en 1934 le pionnier de cette formule, Fletcher Henderson, chez qui pratiquement tous les grands jazzmen de l’époque sont passés un jour ou l’autre. Echoes of the Jungle (1931) résume le style étrange de son génial concurrent, Edward Kennedy Ellington, qui règnera sans conteste sur le monde des Big Bands jusqu’à sa mort en 1974. Rhythm is our Business, de 1934, affiche avec candeur le but de Jimmie Lunceford – nous faire swinguer. Au faîte du succès, en 1938, il n’hésitera pas à enregistrer pour le label Decca Le Jazz Hot, une composition « dedicated to Hugh Panassié ». Sing, Sing, Sing (1937) – où l’excellent batteur Gene Krupa « drive » l’orchestre du clarinettiste Benny Goodman - nous donne un exemple de ce que les musiciens blancs parviennent à produire en suivant les voies ouvertes par leurs mentors afro-américain. Et Swingin’ the Blues (1938), superbe enregistrement de Count Basie avec Jo Jones à la batterie, illustre à la perfection ce « Bounce Swing » qui évoque si bien les rebonds d’un ballon passant de main en main sur un terrain de basket.
1934/2024, 90 ans de Jazz « Hot » Saison 2 « Certains l’aiment chaud ! »
Episode 4 : Revival ! (Résurrection)
Initié par Hugues Panassié qui va séjourner 5 mois à New York à l’automne/hiver 1938/39 et remettre le projecteur sur des musiciens du calibre de Sidney Bechet, le retour au Jazz spontané et peu « arrangé » des premiers temps se fait sans doute en rupture avec la formule trop bien huilée des grands orchestres de la Swing Era, bien plus qu’avec le nouveau genre en train d’apparaître sur la scène musicale, mais encore très confidentiel qu’on commence à connaître sous l’appellation « Be-Bop ». Quoi qu’il en soit, son retour, d’abord remarqué seulement par quelques amateurs avertis, permettra à des vétérans de la Nouvelle Orléans de jeter leurs derniers feux (on pense au pianiste Jelly Roll Morton ou au clarinettiste Jimmy Noone). A d’autres d’accéder à nouveau à une notoriété qu’ils avaient perdue : ainsi le tromboniste Kid Ory, qui a quitté Chicago pour la Californie ; ainsi, bien plus encore, le saxophoniste Sidney Bechet qui, trente ans après y avoir fait sa première tournée hors des Etats-Unis, va connaître en Europe – et plus précisément en France, dont il parle couramment la langue – un succès phénoménal et durable, tout en devenant une authentique gloire nationale. WEARY BLUES fait partie des « Panassié Sessions » de 1938, et permet
d’entendre aux côtés de Bechet le grand trompettiste néo-orléanais Tommy Ladnier. MICHIGAN WATER BLUES, enregistré en 1939 par le folkloriste Alan Lomax pour la Bibliothèque du Congrès, donne à Jelly Roll Morton l’une de ses dernières occasions d’évoquer avec nostalgie sa ville natale. DOWN IN HONKY TONK TOWN (1940), brillamment enlevé par Sidney Bechet et Louis Armstrong, ou AT A GEORGIA CAMP MEETING (1955), par l’orchestre de Kid Ory sont autant d’évocations de l’atmosphère trépidante de jadis. Quant à PROMENADE AUX CHAMPS ELYSEES, enregistré à Paris avec l’orchestre français de Caude Luter en 1951, c’est un excellent exemple du talent de compositeur de Sidney Bechet, moins connu mais tout aussi ravissant que ses autres succès du moment (et notamment l’immortelle PETITE FLEUR
Episode 3 : La grande crise des années 30... (The Great Depression)
Désormais, le monde vivra à l’heure américaine. Et son horloge battra au rythme de la musique qu’on appelle – à tort ou à raison – « Jazz ». Et en particulier quand le Jeudi noir du 24 octobre 1929 verra s’effondrer Wall Street et jeter les américains dans la Grande dépression. Quand John Steinbeck écrira « Les Raisins de la colère » et que Roosevelt, le nouveau président sonnera l’heure du New Deal : on viendra l’écouter dans d’immenses dancings transformés en pistes de compétitions pour les chômeurs désespérés qui tentent de gagner les marathons de danse, tels qu’immortalisés dans « On achève bien les chevaux ». Son rythme bondissant donnera même un nom – et rendra le moral - à la période difficile qui s’ouvre avec les années 30 : ce sera « l’Ere du Swing ». Et celle des big bands, ces formations deux ou trois fois plus étoffées que les groupes New Orleans mais qui embauchent facilement les musiciens de talent qui arrivent du Sud. A condition, bien sûr qu’ils lisent la musique, de plus en plus écrite – on dit : arrangée – tout en restant capables d’improviser des soli pleins d’originalité ...et de swing. Louis Armstrong, lui-même ne se produira plus guère qu’à la tête d’un grand orchestre. Et la musique de la Nouvelle Orléans qui a fécondé cette mutation disparaîtra rapidement d’un paysage musical très sensible à la mode, du moins dans sa forme originelle. SOMEBODY LOVES ME (1930) illustre bien cette évolution : sur une mélodie récente de Georges Gershwin, arrangée en Jazz par Benny Carter pour le big band de Fletcher Henderson, d’excellents musiciens - dont presque aucun n’est « Nouvelle-Orléans » – vont s’exprimer pourtant avec bonheur dans un style proche. Même chose dans le BUNDLE OF BLUES de Duke Ellington (1933), ou le WOLVERINE BLUES d’Earl Hines (1934), tous deux imprégnés de l’esprit de la période précédente, mais arrangés - excellemment - au goût du jour.
A l’opposé, SWEET SUBSTITUTE, gravé et chanté en 1939 par le pianiste Jelly Roll Morton et sa petite formation de style « N-O », illustre l’un des rares exemples de la forme authentique, mais ne rencontre aucun succès.
Quant à PANASSIE STOMP (1938), c’est l’hommage un peu paradoxal rendu par Count Basie - qui dirige l’un des meilleurs big bands du moment - au critique français venu passer quelques mois à New York...précisément pour y enregistrer les vétérans de l’époque précédente qui n’intéressent plus ce qui s’est transformé, il faut bien l’admettre, en véritable business musical !
1934/2024, 90 ans de Jazz « Hot »
Saison 2, « Certains l’aiment chaud ! » Naissance à la Nouvelle Orléans, d’une musique afro-américaine de haute intensité, « Le Jazz Hot », que l’on explore à travers la discothèque de Hugues Panassié, à l’occasion des 90 ans de son livre qui en a fait découvrir la beauté et la richesse.
Episode 2 : « Les enfants du Jazz » (Tales of the Jazz Age)
A Chicago, où elle s’expatrie lorsque les Etats-Unis entrent dans la 1ère guerre mondiale – ce qui conduit à un véritable exode des populations rurales noires du Sud vers le Nord industriel – cette musique joyeuse, dynamique, naturellement alliée au Ragtime qui lui est contemporain sera celle de la Victoire : grâce au disque et bientôt à la radio, le monde entier va fredonner, tout au long des années 20, des mélodies créoles et danser sur des rythmes nègres. Sous la plume de Francis Scott Fitzgerald (l’auteur mythique des Histoires de l’Age du Jazz, qui paraît en 1922), de Paul Morand, de Cendrars ou de Cocteau, l’Amérique et l’Europe sacrifieront en musique à la frénésie des Années folles. En 1929, Hollywood tendra même le micro à Al Jolson pour produire le premier film du cinéma parlant : « Le Chanteur de Jazz ». Le préjugé de race a fait préférer ce comédien médiocre au visage teint en noir pour la circonstance à un authentique génie devenu follement populaire : Louis Armstrong, qui va incarner ce Jazz qui s’est fait un nom à Chicago, puis à New-York et par là, dans l’Amérique entière, influençant toute une génération de
musiciens enthousiastes, noirs et blancs, qui seront les messagers zèlés de la nouvelle musique. HOTTER THAN THAT (1927) illustre le talent époustouflant d’ Armstrong qui invente l’art du scat, ce chant sans paroles ou la voix reproduit les phrases et les inflexions d’un instrument - la trompette en l’occurrence - sur un splendide accompagnement à la guitare par Lonnie Johnson, néo-orléanais lui aussi. APEX BLUES (1928) fait entendre l’un des maîtres de la clarinette, Jimmie Noone, accompagné par Earl Hines, l’un des maîtres du piano, aux trilles impressionnantes. Sur TIGER RAG son concurrent Jelly Roll Morton déploie toute l’inventivité et l’humour que se devait de posséder un pianiste soliste à la Nouvelle Orléans : il avait souvent à dynamiser à lui seul la clientèle venue consommer en cachette l’alcool interdit par la loi sur la Prohibition. Et pour cela, rien de tel qu’un bon ragtime comme ce CHARLESTON (1923) qui va faire la renommée, sinon la fortune de son compositeur : James P. Johnson. MAPLE LEAF RAG (1932) autre rag célèbre écrit par Scott Joplin, le maître du genre, est l’occasion pour Sidney Bechet et ses New Orleans Feetwarmers d’un feu d’artifice de virtuosité qui ne sacrifie jamais la musicalité. Enfin STINGAREE BLUES (1930), l’un des derniers disques de King Oliver, touche par la sobriété poignante de la trompette du leader auquel répond avec brio son disciple, Henri « Red » Allen.
1934/2024, 90 ans de Jazz « Hot »
Saison 2 : « Certains l’aiment chaud ! »
Naissance à la Nouvelle Orléans, d’une musique afro-américaine de haute intensité, « Le Jazz Hot », que l’on explore à travers la discothèque de Hugues Panassié, à l’occasion des 90 ans de son livre qui en a fait découvrir la beauté et la richesse.
Episode 1 : « Bon temps rouler ! » (Let the Good Times roll)
A la Nouvelle-Orléans au tournant du (19 ème) siècle, tout est
prétexte à musique, et même si la vie n’est pas toujours drôle, la
musique est là pour embellir la vie. Qu’il s’agisse de fêtes familiales - mariages, naissances, funérailles – ou d’évènements sociaux – réunions associatives, banquets, bals annuels – on a toujours besoin de musiciens. Et cela culmine pendant le célèbre carnaval – qui attire au moment du Mardi gras (en Louisiane, on a conservé le nom français) – les mêmes foules que celles qui affluent à Cuba ou au Brésil pour chanter et pour danser. Bien entendu la musique (qui ne porte pas encore de nom spécifique) accompagne la vie nocturne et notamment à Storyville, le quartier du port où l’alcool, le jeu et la prostitution assurent une activité florissante à ceux et celles qui les contrôlent. Le disque manque pour nous restituer cette période en direct, car l’enregistrement phonographique est encore dans
l’enfance. Mais les musiciens qui l’ont connue vont la perpétuer dans la période suivante (les années 20) avec très peu de modifications et les disques qu’ils graveront - le plus souvent à Chicago – constituent un témoignage irremplaçable des premières années du Jazz. JAZZIN BABIES BLUES (1923) annonce la couleur dans son titre et fait entendre le « roi » de la trompette : Joe « King » Oliver, à la tête de son Creole Jazz band qui tisse le contrepoint musical typique de l’improvisation collective propre à cette musique. Dans GATE MOUTH (1926) c’est le clarinettiste Johnny Dodds (qu’on entendait déjà aux côtés d’Oliver dans le titre précédent) qui insuffle sa vigueur aux New Orleans Wanderers et dans BLACK BOTTOM STOMP (1926), les Red Hot Peppers du pianiste Jelly Roll Morton se déchainent avec virtuosité sur le tempo rapide d’une danse (le black bottom) qui préfigure le charleston. OH DIDN’T HE RAMBLE, enregistré deux décennies plus tard (1945) par un autre vétéran de la Nouvelle Orléans, le tromboniste Kid Ory, est une évocation de l’accompagnement musical d’un enterrement en Louisiane (d’abord lent et triste sur le chemin du cimetière, puis accéléré et revigorant sur le chemin du retour). Enfin, CAKE WALKING BABIES FROM HOME (1925) est une irrésistible invitation à la dance par les Blue Five du pianiste Clarence Williams, entraînés par deux des plus grands jazzmen de cette première époque - et des époques ultérieures - le saxo-soprano Sidney Bechet et le trompettiste Louis Armstrong, qui rivalisent d’inspiration et de virtuosité sans pour autant nuire à l’équilibre du dialogue qu’ils nourissent.
1934/2024 : 90 ans de Jazz « hot » Avec Hugues Panassié, à l’écoute de ceux qui l’ont fait.
Episode 4 : « T’ain’t what you do ...»
C’est le titre d’un hit de l’orchestre Jimmie Lunceford, écrit par deux de ses musiciens, Sy Oliver et Trummy Young. La phrase complète indique que l’important, ce n’est pas tant ce que vous faites que la manière dont vous le faites. Et ça s’applique au Jazz Hot à la perfection : le texte musical n’est pas le plus important, c’est la façon de le jouer qui fait que ça swingue, que ça parle etc. Ainsi le dialogue vertigineux improvisé en live sur le BLUES, par Nat « King » Cole (p) et Les Paul (g) au cours du concert JATP (1944). Ainsi la quasi-transmutation en blues d’une chanson de Duke Ellington DON’T GET AROUND MUCH ANYMORE par « Blues Boy » B.B. King
(1960). Ou l’accord parfait entre le piano de Count Basie et les pas du danseur Sammy Davis Jr. sur la scène du Festival de Newport (BILL BASIE, WON’T YOU PLEASE COME HOME, 1957). Ou le climat envoûtant que le pianiste Ahmad Jamal imprime à ses EXCERPTS FROM THE BLUES (1961) pourtant composés sur une trame harmonique toute différente. Ainsi la manière dont Louis Armstrong se saisit d’une mélodie banale pour en faire un pur joyau du style New Orleans (HELLO DOLLY, concert de Prague, 1965).
1934/2024 : 90 ans de Jazz hot Avec Hugues Panassié, à l’écoute de ceux qui l’ont fait.
Episode 3 : « It don’t mean a thing…»
La phrase complète (titre d’une composition de 1931 de Duke Ellington) signifie – à propos de la musique: « Tout ça ne veut rien dire si ça ne swingue pas ». Le Jazz hot « balance ». Tout le temps, comme notre cœur pulse, tout le temps : c’est aussi simple que ça !
Et si nos doigts ont envie de claquer et nos jambes de danser, c’est que la musique veut bien dire quelque chose ! A Harlem, le Savoy –
« le plus célèbre dancing du monde » - s’était donné pour surnom : « La maison des pieds heureux. » Dans TRAVELIN’ (1963), Jimmy Smith (orgue) et Kenny Burrell (guitare) nous invitent à un voyage superdansant. Sur LINGER A WHILE (1955), Jo Jones trouve à la batterie une pulsation distincte pour « pousser » au maximum chacun des solistes de l’orchestre de Ruby Braff, et notamment Vic Dickenson (tb) et Sam Margolis (saxo ténor). Quoique sur un tempo très tempo lent, BLUES (1956) est néanmoins formidablement swingué par les virtuoses Paul Gonsalves (saxo ténor), Clark Terry (tp) et Willie Jones (le « Démolisseur de pianos »). ON REVIVAL DAY
(1958), LaVern Baker, chanteuse pourtant nullement spécialiste du Gospel nous entraine – au rythme implacable de la batterie de Joe Marshall – sur le chemin de la Résurrection et… gare aux trainards !
Pour finir, Joe « BeBop » Carroll chante avec nonchalance les SCHOOL DAYS (1951) que Dizzy Gillespie va se charger de propulser dans la stratosphère !
1934/2024, 90 ans de Jazz hot, Avec Hugues Panassié, à l’écoute de ceux qui l’ont fait. Episode 2 : « Heah me talkin’ to ya »
Cette phrase-titre d’un succès de Louis Armstrong de la fin des années 20 nous rappelle que le Jazzman veut toujours nous dire
quelque chose à travers sa musique. Et l’étonnante expressivité de la musique « hot » lui a permis de toucher tous les publics, par delà les
différences socio-culturelles, dès lors qu’ils faisaient l’effort d’en accepter les caractères spécifiques. Ainsi la ferveur de la chorale de
Mary Lou Williams qui interprète PRAISE THE LORD (1966), et la clameur du saxo ténor de Budd Johnson qui lui répond. Ou bien la
puissance mystérieuse du dialogue entre la batterie d’Art Blakey et la trompette de Clark Terry dans SWAHILI (1955, arrangement de
Quincy Jones.) Ou encore la véhémence hyperswinguante de Milt Buckner au piano dans son chorus en block-chords sur le JUMP AND
GRUNT d’Eddie Vinson (1950). Ou enfin le drame pudique de la femme blessée que chante Dinah Washington (THE BLUES AIN’T
NOTHING, 1968), bien soutenue par la guitare de Billy Butler et le saxo ténor d’Eddie Chamblee (arrangement de Fred Norman).
En 1934, un jeune provincial français a l’audace de publier un livre sur le Jazz, considéré à l’époque au mieux comme une « musique d’ameublement » et au pire comme une « musique de sauvages ».
Hugues Panassié – il n’a que 22 ans mais se passionne pour cette musique follement originale depuis déjà sic ou sept ans – a même la prétention de faire œuvre de musicologue et de critique, confiant dans la pertinence de ceux qui l’ont initié et auxquels il ne cessera de renvoyer, proclamant que ce n’est pas selon ses goûts qu’il tranche dans le vif, mais selon ce qu’il voit et comprend des réactions des musiciens – de préférence américains et noirs – lorsque leurs voyages les amènent à se produire dans la capitale.
Dès sa parution « Le Jazz hot » stupéfie…les américains – comme en témoigne la bande d’« actualités » qui ouvre l’émission et après sa traduction aux USA, il inspirera à Jimmie Lunceford, l’un des chefs d’orchestre les plus en vue du moment un morceau titré également « Le Jazz hot » et à une autre star du même calibre, Count Basie, « Panassié Stomp ».
Iconoclaste dans son approche de la musique, Panassié affirme la primauté de critères habituellement délaissés par les spécialistes : le swing, ce balancement si particulier que les afro-américains impriment au rythme et qui imprègne le « Truckin’ » de Fats Waller (1935), l’expressivité qu’ils donnent à la musique qui, avant de s’écrire, doit se jouer comme elle se chante (le « Ding Dong Daddy » de Louis Armstrong (1930), enfin le sens du Blues, ce mélange subtil de tristesse sans résignation et d’humour pudique qui résume l’image de sa condition particulièrement difficile que se fait, dans le premier tiers du XXème siècle, le fils d’esclaves affranchis qu’est encore non rarement le jazzman ou sa contrepartie féminine, la chanteuse : dans son duo de 1927 avec l’un de ses accompagnateurs préférés, Charlie Green (« Trombone Cholly » comme elle l’a surnommé), Bessie Smith – l’Impératrice du Blues comme on l’a surnommée à l’époque nous restitue le fumet tout à la fois tragique et canaille de ce langage privilégié de la poétique musicale qu’est le Blues.
Dernier élément fondamental du Jazz hot, celui qui coule de sa source créole, la musique apparue vers la fin du XIX ème siècle à la Nouvelle-Orléans : mélangeant les influences les plus diverses, elle allait contaminer progressivement toute la musique afro-américaine. La version du « Doctor Jazz » de Jelly Roll Morton en est la parfaite illustration.
1934/2024, 90 ans de Jazz « Hot »
Saison 2, Episodes 1,2,3,4 : « Certains l’aiment chaud ! » Naissance à la Nouvelle Orléans, d’une musique afro-américaine de haute intensité, « Le Jazz Hot », que l’on explore à travers la discothèque de Hugues Panassié, à l’occasion des 90 ans de son livre qui en a fait découvrir la beauté et la richesse.
Episode 3 : La grande crise des années 30… (The Great Depression)
Désormais, le monde vivra à l’heure américaine. Et son horloge battra au rythme de la musique qu’on appelle – à tort ou à raison – « Jazz ». Et en particulier quand le Jeudi noir du 24 octobre 1929 verra s’effondrer Wall Street et jeter les américains dans la Grande dépression. Quand John Steinbeck écrira « Les Raisins de la colère » et que Roosevelt, le nouveau président sonnera l’heure du New Deal : on viendra l’écouter dans d’immenses dancings transformés en pistes de compétitions pour les chômeurs désespérés qui tentent de gagner les marathons de danse, tels qu’immortalisés dans « On achève bien les chevaux ».
Son rythme bondissant donnera même un nom – et rendra le moral - à la période difficile qui s’ouvre avec les années 30 : ce sera « l’Ere du Swing ». Et celle des big bands, ces formations deux ou trois fois plus étoffées que les groupes New Orleans mais qui embauchent facilement les musiciens de talent qui arrivent du Sud. A condition, bien sûr qu’ils lisent la musique, de plus en plus écrite – on dit : arrangée – tout en restant capables d’improviser des soli pleins d’originalité …et de swing. Louis Armstrong, lui-même ne se produira plus guère qu’à la tête d’un grand orchestre. Et la musique de la Nouvelle Orléans qui a fécondé cette mutation disparaîtra rapidement d’un paysage musical très sensible à la mode, du moins dans sa forme originelle.
SOMEBODY LOVES ME (1930) illustre bien cette évolution : sur une mélodie récente de Georges Gershwin, arrangée en Jazz par Benny Carter pour le big band de Fletcher Henderson, d’excellents musiciens - dont presque aucun n’est « Nouvelle-Orléans » – vont s’exprimer pourtant avec bonheur dans un style proche.
Même chose dans le BUNDLE OF BLUES de Duke Ellington (1933), ou le WOLVERINE BLUES d’Earl Hines (1934), tous deux imprégnés de l’esprit de la période précédente, mais arrangés - excellemment - au goût du jour. A l’opposé, SWEET SUBSTITUTE, gravé et chanté en 1939 par le pianiste Jelly Roll Morton et sa petite formation de style « N-O », illustre l’un des rares exemples de la forme authentique, mais ne rencontre aucun succès.
Quant à PANASSIE STOMP (1938), c’est l’hommage un peu paradoxal rendu par Count Basie - qui dirige l’un des meilleurs big bands du moment - au critique français venu passer quelques mois à New York…précisément pour y enregistrer les vétérans de l’époque précédente qui n’intéressent plus ce qui s’est transformé, il faut bien l’admettre, en véritable business musical !
Dans cet épisode, le doc rend hommage au Gospel !
Pour évoquer le trompettiste-prodige aux 902 séances d’enregistrement, Dr Jazz invite l’un de ses meilleurs disciples, le bordelais François Biensan : percussionniste à ses débuts (il fut, comme Bernard Lubat l’élève de Jean Courtioux au Conservatoire), devenu à Paris l’un des spécialistes les plus recherchés de la trompette mainstream, chef d’un orchestre – Ellingtomania – consacré à la musique du Duke (et dont le batteur fut un temps l’ellingtonien Sam Woodyard), compositeur et arrangeur (y compris pour Ray Charles), François Biensan a bien connu Clark Terry avec lequel il a joué à plusieurs reprises, et notamment sur la scène de Marciac. Tout au long de quatre podcasts à retrouver sur radiochubordeaux.fr, et autour d’un choix d’enregistrements qui enjambent près de six décennies (1947-2003), il évoque pour nous l’un des plus indiscutables géants du Jazz.
Dans cet épisode, le Doc rend hommage aux Jazz Women !
- Ce sont depuis les origines, l’une des forces vives de cette musique qui a tourné le dos au préjugé du genre comme à celui de la race : c’est ainsi que le premier disque enregistré par des noirs américains fait entendre une star de l’époque (1920), la chanteuse Mamie Smith, accompagnée par ses « Jazz Hounds ». Car dans un premier temps, ces dames s’expriment surtout par la voix, qu’elles ont très expressive, justement ! Notre première partie présente donc « De sacrées chanteuses, accompagnées par de sacrés musiciens » :
Dans cet épisode, le doc rend hommage aux Jazz Women !
Mais, et c’est moins connu, dès les débuts du Jazz, ces dames vont aussi pratiquer un instrument, volontiers le piano, Et l’on va voir en deuxième partie qu’à l’image de Lil Hardin – la première partenaire de Louis Armstrong, sur la scène comme à la ville, « Non seulement elles jouent - bien - mais en plus elles composent ! »